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« S’abstenir ou voter blanc, c’est voter Marine Le Pen ». Non. 

« Des gens sont morts pour que tu votes ». Peut-être. Cela dit John George Haigh a été exécuté pour avoir voulu démontrer toute sa vie l’intérêt de dissoudre des jeunes femmes dans de l’acide sulfurique. Faut-il, dimanche, faire de même pour ne pas qu’il eut été pendu pour rien ? 

A côté de Macron, Sarkozy est socialiste. 

Je ressuscite le Veau d’Or après avoir souri à la lecture de certains de vos messages sur les âmes batées. En substance : « tu votes pour qui ? », « sale gauchiste de merde » ou le très drôle « ça vote pour qui, un alcoolique ? ». Bien qu’à ma connaissance aucun candidat ne propose la mise en place d’un bouclier tarifaire pour la 8,6, je vais tout de même tenter de formuler une réponse.

S’il y a bien quelque chose qui m’insupporte c’est la volonté de faire culpabiliser l’Autre. Libertaire de la première heure j’ai toujours admis que, bien que souvent mal-pensant, ce troupeau de veaux disposait d’un droit non-aliénable à penser ce qu’il veut. Et que ces libertés, à l’instar du droit de vote, nous donnent également le privilège de ne pas en user. Je comprends donc ceux qui, demain dimanche, préfèreront une partie de pêche à leur dette de bon citoyen. J’ai même bien failli être de ceux-là.

J’ai toujours voté en mon âme et conscience pour le candidat qui s’acoquinait le plus avec mes valeurs. Pour éviter de tomber dans l’idolâtrie d’un leadeur ou d’être une victime directe de la peopolisation de la vie politique, j’use d’une façon ennuyeuse de mon droit de vote selon ce qu’une application de comparaison de mesures me dit de ma proximité avec tel ou tel candidat. J’ai donc aussi bien voté pour des partis de la droite traditionnelle ou souverainiste que pour nombre de candidats d’extrême gauche. Selon la nature des élections et de mon état de frustration à l’instant T, évidemment. Ainsi, je ne voyais pas comment il m’était possible de concilier mon vote Mélenchon du premier tour avec un suffrage offert à En Marche au second. Non, je ne trouvais absolument aucune raison valable pour mettre le bulletin Macron dans l’urne funéraire de la démocratie. S’il est pourtant vrai que je suis attaché aux droits des pauvres, des homosexuels, des femmes, des chômeurs et de toute la clique des minorités que je n’ai jamais le temps d’aller soutenir dans leurs manifestations qui embaument la techno et respirent la saucisse, cela ne me paraissait pas être une raison suffisante pour me résoudre au vote barrage. Pour la simple et bonne raison que Macron c’est aussi et surtout la paupérisation des classes déjà pauvres, la réussite sociale comme but ultime et qu’il convient de souligner que l’allongement du délai de l’IVG à 14 semaines ne vise en rien à faciliter l’accès à l’avortement, au contraire, puisqu’il évite ainsi d’augmenter les moyens humains et financiers en faisant un chèque en blanc de deux semaines qui détériorera encore l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (ces semaines seront utilisées essentiellement pour faire patienter plus longtemps encore, pour des raisons d’engorgement des cabinets des spécialistes, les femmes ayant besoin de cette solution d’urgence). A côté de Macron, Sarkozy est socialiste. 

Je ne suis pas un garçon forcément sujet à la compassion. Cela m’arrange que certains militent pour les grandes causes, l’environnement, les LGBTQ+… parce que, je dois le confesser, j’ai bien du mal à me sentir concerné par tout ça. J’ai hérité d’un fonctionnement très basique et individualiste qui me pousse à penser que du moment qu’un mec a un toit sur la tête et une connexion internet il tout à fait disposé à se faire entendre et à défendre mieux que moi ses propres revendications. Encore faut-il qu’il l’ait, ce toit sur la tête. 

Cette époque flirte avec un tel niveau d’égocentrisme que même les causes que nous défendons doivent devenir uniques, stylées, démarquées, sociostylisées. Bref, publiables sur Instagram. La génération de ceux, dont je fais partie, qui doivent être visibles, toujours, tout le temps, n’a que faire de savoir qu’en France des types meurent encore dehors. Seuls. De froid. C’est so cheap de s’indigner devant le sort des SDF dans la septième puissance mondiale. Alors on se pose de vraies questions : faut-il légaliser le cannabis ? Est-il souhaitable d’aller dans une maison close plutôt que d’aller chercher les prostituées au coin de la rue ? Le combat féministe doit-il exclure les trans ? Nous ne sommes plus très humains, ni très intelligents. Mais l’essentiel c’est seulement de ne pas être Terf.

Le vote Marine Le Pen, je le comprends. Mais le vote Marine Le Pen c’est avant tout le vote pour la préférence nationale. Mesures qui maintiendraient hors de la solidarité de la France tout type de personnes en difficulté d’où qu’elles viennent. Qui amèneraient à refuser l’accès aux prestations et aux logements sociaux à qui en a besoin. En résumé, à distinguer ceux qui ont le droit ou non de crever dehors. Et là-dessus, j’accepte d’être un stéréotype, je ne peux pas transiger. 

Alors, bien que conscient que pour le président actuel une tente Quechua au bord du périph ne représente rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de la communication, j’irai quand même voter demain. 

J’ai été éduqué en bon chrétien, il y a là-dedans à boire et à manger, mais chez nous il y a toujours une assiette en plus à table pour celui qui viendrait frapper à la porte. Une chambre d’amis prête à servir pour n’importe qui. Ce sont nos valeurs. Ce sont nos devoirs. Et demain mon devoir m’obligera à jouir de mes droits. Alors, demain, avant de vomir, j’irai voter Emmanuel Macron.

J’ai tenté de trouver une action de rien pour minimiser mon geste. Pour tenter d’oublier ce que je viendrai de faire j’enverrai « DON5 » par SMS au 92 054. Ô, ça ne fera passer ni le goût ni la pilule. Mais ça aidera au moins la fondation Abbé Pierre qui, plus que jamais, a besoin de nos deniers plus que de nos avis sur tout et tout le temps. Je me tais donc. A bon entendeur.

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Rédigé par

Nathanaël Petit-Desselle

Nathanaël Petit est né en 1992 à Charleville-Mézières où il a suivi des études hôtelières. Professeur certifié de cuisine et blogeur Art de Vivre & gastronomie, il est également l'auteur des Aventures de Le Guerrec sorti en 2020 et dont le second tome est à paraître.
Depuis 2022 il fait paraître chaque semaine le récit largement autobiographique "les âmes batées" traitant des addictions.