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Le XXIème siècle aime beaucoup les étiquettes. En écoutant France Inter toute une journée, on s’étonne de s’y retrouver face à tous ces mots qui nous désignent : votre enfant est peut-être dyslexique, dyscalculique ou dyspraxique ? Trouverez-vous l’amour en étant hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, asexuel, pansexuel ? Mangez-vous végétarien, végan, flexitarien ? Etes-vous féministe ? Ne répondez pas tout de suite à la question. Aujourd’hui, mieux vaut jauger la capacité d’écoute et probablement d’entente de l’autre avant de répondre.

Le XXIème siècle aime les étiquettes mais n’aime pas vexer. Souvent, être féministe, c’est désavouer l’ensemble de ce que cela implique : « je suis féministe, oui mais… » Oui mais, « les Femen vont peut-être un peu trop loin », oui mais, « les pères ne sont pas assez reconnus dans la société », oui mais, « le mouvement #Metoo est un peu excessif », oui mais, « en France on est quand même bien loties »…

Il semble qu’aujourd’hui il faille s’excuser d’être féministe. Le féminisme du XXIe siècle effraie. Après les #Metoo et les #Balancetonporc, les revendications grondent du côté des femmes. La difficulté de l’usage du hashtag laisse toutefois sur notre faim puisque soucieux d’exprimer une colère, libérant une parole qui avait besoin d’exploser après des siècles d’omerta féminine, l’explosion a permis à certains congénères de s’émouvoir de tant de violence. De la part de ces femmes. Ironie du sort. Les femmes qui dénoncent des violences utiliseraient des mots et des méthodes trop violentes. Depuis quelques années, il faudrait en effet ménager la société. Utiliser des mots plus doux, plus modérés, plus bienveillants, mais aussi plus précis (pour être bien sûr de ne pas se tromper et… de ne pas vexer) pour une société plus violente. Voilà le défi langagier de ces dernières années. Les mots seraient-ils devenus notre réconfort ? Quand on ne trouve pas les bons mots, on se retrouve vite désemparé et perdu, comme si notre place dans la société en dépendait.

Voilà pourquoi, quand on devient mère, on peut aisément s’interroger avec désarroi : suis-je en train de dire adieu à mes principes et à mes libertés ? Pourquoi mon indépendance insatiable et mes ambitions individuelles se sont-elles transformées en lait en poudre ? Comment mon congé maternité m’a-t-il transformée en femme de ménage qui panique parce que le repas n’est pas prêt quand mon concubin rentre du travail ? Pourquoi mon seul divertissement est-il un rot de bébé ? un match de ping-pong de mon aîné ? Fort heureusement, il semblerait que le mal ne soit que langagier : on aimait à se penser féministe de la première heure, façon Mona Chollet, à cheval sur nos idéaux et intraitable sur nos actes et leur cohérence, et l’on s’étonne que la vie ne soit pas limitée qu’à une seule étiquette. La vie est pourtant faite de variations, de cellules chacune plus différentes les unes des autres. La vie, l’animalité, sont un amas d’idées et de mots : un humain n’est-il pas à la fois une origine, un sexe, une orientation sexuelle, des opinions politiques, une spiritualité, des ambitions, des valeurs, des envies et des désirs, des dégoûts et des colères, une enfance et un avenir ?

Etre mère et féministe, n’est-ce pas l’animalité qui reprend ses droits ? L’animale, au féminin, c’est cette force nourricière, cette maternité (oserions-nous le dire ?) « surhumaine » dans laquelle toute la puissance des femmes se traduit par la mise au monde d’un être vivant, par l’indéfectible protection de ses pairs. L’animalité : c’est ce mot qu’il faut employer pour décrire la puissance des femmes. Et dans cette animalité, on peut y trouver la maternité.

Tout compte fait, le XXIème aime simplement les mots, et c’est peut-être finalement ce qui pourrait nous rassurer. Ces mots auxquels on se raccroche, ces mots qui font peur mais qui nous font évoluer. Une prescription : laisser parfois faire la vie, en oubliant, l’espace de quelques instants, de parler, de se prononcer. Alors taisons-nous.

Bonne fête ma louve, bonne fête maman.

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Rédigé par

Suzette

Perrine Pierquin (ou Suzette Poète) est née à Bordeaux en 1992 et a suivi des études de lettres modernes à Reims puis à Grenoble après avoir vécu son enfance à Charleville-Mézières dans les Ardennes. Aujourd'hui professeure de français dans un collège REP de Haute-Savoie, elle anime régulièrement des ateliers et des scènes ouvertes de slam, par le biais de collectif Slam en Altitude créé en 2019.