
La semaine du Veau #1
Lundi.
Alors que mon dernier manuscrit est achevé et que le temps des vacances arrive enfin, je décide, comme un pied de nez à la Russie, de m’offrir une généreuse cuillère de Caviar sur un blinis décongelé Picard. C’est le mois d’Août qui pointe un nez aussi rubicond et qui a le génie de s’accorder foncièrement avec le miens aux psoriasis proéminents. Le résultat, me dit le médecin, des nombreux shooter de vodka qui accompagnent mes œufs d’esturgeon du petit-déjeuner. Alors en cette rentrée 2022, c’est décidé, j’entame le régime chocapic. C’est à vrai dire surtout un geste citoyen qui m’y motive : c’est d’un lait 100% français que j’inséminerai généreusement mon maïs soufflé chocolaté. Soutiens à nos producteurs qui voient le prix de leurs matières premières s’envoler et des consommateurs qui découvrent qu’une vache, ça mange. Un veau aussi, me direz-vous.
J’ouvre alors les portes de mon réfrigérateur pour m’emparer de l’albuginé nectar. Quelques victuailles y sont entreposées : le fond d’une bouteille de Crozes-Hermitage qui n’a rien à faire là, des plats Fauchon à peine entamés que je n’ai encore pas eu le courage de faire faire jeter à la femme de ménage et la pizza Buitoni saveur champignons et E-Coli que mon jardinier qui, plutôt que d’arroser mes bonzaÏs n’a rien de trouvé mieux que de planter son arrosoir dans ma dactylo.
Bon soldat et ayant écouté les ordres de Jupiter nous sommant à accepter la fin de l’abondance j’ai décidé moi aussi de réduire mon train de vie. Tout d’abord en licenciant mon jardinier, mais pas ma nègre sans qui, je le confesse, je ne sais pas écrire. Ensuite en demandant à mon chauffeur de ne plus démarrer le rutilant moteur de mon Mercedes GLK 4×4 Brabus. Le constructeur n’annonce pourtant qu’une consommation raisonnable de 17 litres aux cent kilomètres. Elégamment, un copain animateur de télévision accepte de m’acheter cash la bête. Voilà d’ailleurs que son émission, dont je ne loupe jamais un épisode, se termine sur ses bons conseils avisés : « Mes petites beautés, on fait tous un petit geste : les lumières et le wifi quand on est pas à la maison, on éteint ! Et n’oubliez pas : la télé c’est que de la télé ! », mais laissez-là tout de même branchée sur C8.
Mardi
Je n’ai rien à signaler. Je n’ai toujours pas de lait pour mes chocapics. La bonniche méditerranéenne s’affaire, je me laisse faire. J’enfile une tenue de soirée et appelle mon traiteur. Mon vieux Mimi vient diner ce soir. Michel-Edouard. Un petit patron de la grande distribution qui aime encore à me rendre quelques visites courtoises. Surement parce qu’il sait que Beigbeder m’a refilé son stock de cocaïne depuis qu’il a décidé d’arrêter. 200 kilos. J’ai appris à stocker.
Nous rions de bon cœur et il m’évoque avec lyrisme et bienveillance sa méthode pour ne pas faire subir au consommateur la hausse des prix :
– Tu vois Barthélemy, qu’est ce qui lui fait du mal à la ménagère ? Son fils qui accède plus facilement à l’héroïne qu’au soutif des filles ? Le diabète de son mari ? Le prix de ses prochaines vacances au club Marmara ? Non, pour ça elle s’endettera. La ménagère, ce qui l’a rend malade, c’est le Flamby à 1€22. Alors moi je fais quoi ? Je vais voir mes producteurs de lait, ceux qui sont sur le bord de la corde (et trop tard pour ceux qui s’y sont déjà accrochés ! s’exclame-t-il, hilare), je leur fais signer des contrats de merde qu’ils ne pourront en aucun réévaluer de l’année et paf…
- Ça a fait des chocapics ?! Mimi ne relève pas mon envie soudaine de céréales.
- Non et paf t’as un Flamby à 1€. Et la grosse, elle est contente d’avoir un Flamby à 1€. C’est pas cher un Flamby à 1€
Nous rions de bon cœur. Je me dirige alors vers ma bibliothèque XXème en acajou sur laquelle trônent fièrement tous les livres que je n’ai jamais lu. Encore que si, quelques Jojo Lapin jouxte les bouquins de Pancol et m’offrent les uns comme les autres le plaisir de la lecture sous stupéfiants. Bref. J’en tire la biographie de Charles De Gaulle dans lequel je cache soigneusement ma cocaïne et ma carte du rassemblement national. Nous sniffons quelques lignes. Une soirée entre honnêtes hommes.
Mercredi
J’éteins le poste de télévision devant lequel j’avais laissé aller ma vacuité intellectuelle à quelques prouesses et vais réveiller la femme de ménage qui semble être de moins en moins efficace au fur et à mesure qu’elle tape dans ma biographie de De Gaulle. J’assène à mon employée une délicate claque sur sa fesse dont le bronzage évoque encore son Maroc natal. Le bruit de la fessée me rappelle que je suis aussi l’éditeur de Leila Slimani et me réjouis à l’idée que Le pays des autres s’accommode si aisément au satin de mon King Size quelle s’évertue à refaire à blanc alors même que c’est avec elle que je le souille depuis que j’ai perdu toute motivation à dénicher un amour moins prolétaire. Toujours par soucis d’économies, nous nous douchons ensemble. Je me savonne au Channel tandis que, gentleman, je lui tends son Tahiti Douche qui lui rappelle le pays. Elle commence à m’embrasser :
- J’ai envie de toi Barthélemy.
- Oui mais tu dois aller acheter du lait pour mes chocapics
- Mais, mon chér… Monsieur Desselle. Vous m’avez déjà chargé aujourd’hui de passer chercher votre Zadig & Voltaire chez le teinturier, de nettoyer la chambre des amis (que vous n’avez pas) et puisque vous avez viré le jardinier et l’homme à tout faire il me semble que je dois tailler vos Bonsaï, lustrer les jantes de la 911 de votre fils et changer le carburateur du taille-haie si je veux, vendredi, m’adonner au plaisir abscons de ratiboiser vos lauriers.
La bougresse. En plus d’un cul à faire bander un tétraplégique sous Xanax, possède également des arguments. En employeur attentif au bien être de son troupeau j’accepte volontiers quelle s’adonne à ses plaisirs et lui octroie le droit d’aller faire, demain, la queue chez Monoprix. Ça ne pourra d’ailleurs ne lui faire que le plus grand bien, elle qui s’habitue un peu rapidement à mes appartements verts, chics et responsables. Allez ma grande, va groover au royaume du chômage et de la tease. Comme j’aime à lui répéter : on se sent moins malheureux au milieu des nécessiteux.
Jeudi.
Nawel démarre sa vieille Peugeot. Son teint bronzé est aussi discriminatoire que sa pastille Crit’Air, elle évite donc Paris Intramuros. De mon côté, fatigué par les quatre longueurs effectuées dans ma piscine hors sol qu’en écologiste responsable je ne chauffe plus qu’à 28°C, je décide de rester en peignoir. Et de faire scintiller l’écran plasma pour suivre les débats musclés de CNEWS. C’est mon vieux copain qui est interviewé. Mimi semble avoir bien changé de discours depuis notre orgie de mardi. Selon lui, maintenant : « Il faut que la grande distribution et l’industrie agroalimentaire évoluent l’une et l’autre vers une consommation plus mesurée, plus adaptée aux ressources, plus écologique et plus proche des gens. Il a raison. Mais cette fois il m’emmerde. J’éteins et dégote dans le réfrigérateur un Ossetra Royal de la maison Petrossian. J’allume mon enceinte Bose qui fait éclater une symphonie de Brahms en mi mineur tandis que j’étale généreusement le caviar sur une mie sans gluten.
Vendredi
Je suis coupé par le bruit strident qu’émet le vibreur de mon iPhone 13 Pro contre le marbre ma cuisine. Je viens à peine de m’assoir et n’ai aucunement l’envie de me relever. Chance pour moi mon jardinier est venu charger ses dernières affaires : un sécateur et le reste de sa pizza surgelée.
- Vous pouvez m’amener mon téléphone qui est sur le desk ? Vous verrez il est juste à côté de votre lettre de licenciement !
J’ai plusieurs messages et cinq appels en absence. Le dernier en date est celui de Nawel, la femme de ménage, celle qui défait puis refait mon lit.
- Monsieur. Je suis devant le rayon lait. Mais vous ne m’avez pas dit lequel vous preniez dans vos chocapics
- Il en existe plusieurs ?
- Oui…
- Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?
- Qu’il faut en prendre un bio. Ca collera à votre nouvelle image eco-responsable
- Si vous m’aviez dit que vous aviez un cul aussi rebondi que votre QI. Prenez le plus cher dans ce cas. Il sera tout de même bon. Enfin je veux dire, il ne sentira pas trop la vache ?
- Je crois qu’ils sortent tous de la même usine.
- Alors pourquoi m’emmerder ? Et dépêchez-vous, mes chocapics vont ramollir.
Nawel revient avec une bouteille de lait « C’est qui le patron », je m’en serre un plein bol. C’est dégueulasse. Je vide le contenu des six bouteilles dans l’évier. M’allonge une vodka. Et reprend en main mon téléphone. Je constate un message de Sarah. Des semaines que j’essaie de la mettre dans mon lit. Des semaines quelle s’y refuse. Ma vie sentimentale est inexistante depuis plusieurs années, depuis que ma femme s’est barré. Pour un plus riche, pour un plus beau. Pour un moins alcoolique. Alors cette fois mon cœur bat. Bat si fort. Mais comment m’y préparer. J’ai lu dans GQ que la mode était au zéro poil. M’envoyant sans capote le petit personnel depuis un temps, je vous avoue très franchement ne plus me soucier des apparences conventionnelles dans l’air du temps. Et puis, j’ai suffisant d’argent pour être beau. J’envoie valser dans la déchiqueteuse le dernier manuscrit qu’une gamine se rêvant écrivain a fait parvenir à ma maison d’édition. Je n’ai bien sûr pas pris le temps de le lire. Sa photo Facebook m’a suffi à classer son ouvrage comme impubliable.
Je retourne à mes textos, efface avec soins ceux de mes ex-femmes qui me réclament encore mes pensions alimentaires non versées. Je réponds à Sarah et me sent tout d’un coup plus étroit dans mon chino taille slim. On a rendez-vous demain. Je renvoi donc Nawel côtoyer les rayons ternes du Monoprix à la recherche de bande dépilatoire. Il parait qu’il y en avait toute une gamme pour homme. Juste à côté des produits pour entretenir parfaitement une barbe négligée et de petites bonbonnes de Somatoline Costemique qui permettrai de me faire perdre mes poignées d’amours en quelques nuits seulement.
Samedi 14h00
Mon jardinier a oublié de me rendre les clés de la tondeuse à gazon. Je sais quelle va lui manquer. Un peu triste pour lui je lui propose de repartir avec les restes de la soirée paëlla avec Michel-Edouard. J’ai réentendu Macron ce matin. Alors je lui demande de baisser d’un degré supplémentaire la température de la piscine et de prévenir le personnel que désormais l’accès au hammam leur serait interdit. Je me rends ensuite sur le site d’Air France pour commander mon Paris-Nice de la semaine prochaine. Il est maintenant temps d’aller préparer mon corps de quarantenaire trop pubère pour mon date.
Samedi 16h00
J’allume les spots éco-led de la salle d’eau de la suite mono-parentale. J’applique les produits sur chacune de mes aisselles, puis mon torse. J’arrache. Je pense instantanément à la douleur que me provoquera le maillot.
Et me voilà, à quarante ans, dénué de tout poil ingrat. J’arrive au moment fatidique et cette pensée me traverse un instant l’esprit : le Général s’épilait-il les couilles ? Je tire un coup sec. J’hurle. Débranche ma brosse à dent électrique. Vérifie que le wifi est bien éteint. Monte à bord de ma Porsche et prend la route. Radio allumée France inter pose cette question « ou en est l’égalité des sexes ». C’est en grattant mon entre jambe qui me brule que j’ai ma réponse, l’égalité est bien là. C’est désormais officiel, les hommes sont aussi bêtes que les femmes.
